A 47 ans, ce serial entrepreneur apporte une nouvelle corde à son arc : l’écriture. Pascal Lorne vient de publier Dix jours pour hacker le travail, un essai audacieux dans lequel il propose de réformer en profondeur le travail en France. Education, contrat de travail, chômage, micro-entrepreneuriat, Europe, Gafam, tout y passe. Un livre à « vocation politique » assure-t-il. Mais il ne faut pas s’y méprendre : il s’agit ici « d’animer le débat », plus que d’embrasser une nouvelle carrière, veut-il préciser. Pour les Echos START, il revient sur quelques-unes de ses propositions pour « hacker » notre vision du travail.
La France a mal à son travail, elle ne l’élève pas au rang des valeurs cardinales qui font que des femmes et des hommes ont une humanité et une place dans la société. Le travail est un élément de dignité et d’assertion de l’individu. Quand on travaille, on participe aussi à un projet collectif : un projet d’entreprise, un projet associatif, un projet d’engagement politique pour les élus, un projet en milieu hospitalier pour les soignants. Travailler c’est ça : s’insérer dans une dynamique sociale pour faire avancer ensemble une cause.
A travers la sémantique utilisée aussi bien par les politiques de gauche que de droite, on trouve des aberrations. Prenez les RTT, nés avec l’instauration des 35 heures : « récupération du temps de travail », mais qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête des dirigeants politiques ? Le travail est fondamental dans la vie pour se développer, et en aucun cas réduire le temps de travail ne devrait être assimilé à du temps perdu. Vous, quand vous travaillez, avez l’impression de perdre votre temps, gâcher votre vie ? Les syndicats et les politiques de gauche ont tendance à réduire le travailleur à un élément de production au service du capitaliste. De son côté, la droite ultra-libérale, dont Nicolas Sarkozy s’est porté en égérie, a réduit le travail à la portion congrue de rapporter de l’argent. Ce n’est pas ça le travail !
Je trouve que ces salariés qui n’ont pas le courage de se poser la question « A quoi sert ce que je fais à part me nourrir ? » sont des gens sclérosés, qui de fait travaillent mal, deviennent aigris et dépressifs et se font mal à eux-mêmes. Je trouve cela grave et dommage, car le travail est quand même l’activité qui nous occupe le plus.
Dans ces entreprises, les salariés fixent librement leur salaire
A contrario, je trouve que les entrepreneurs qui n’ont pas le courage de se poser la question : « A quoi sert mon entreprise ? » sont tout aussi responsables. Prenez la vague de suicides chez France Télécom. On peut considérer que travailler dans un centre d’appels ou poser des fibres dans des canaux souterrains manque de sens. Mais si le PDG disait aujourd’hui : « notre objectif n’est pas le résultat financier, mais de connecter les personnes », le paradigme serait différent. Si le patron prend le temps de servir sa mission, c’est bien plus efficace pour les salariés que les séminaires de développement personnel.
« Tout travail mérite salaire », et je le crois. Il reste bien sûr un levier de reconnaissance important mais, ce n’est pas le seul. Ce qui prime, c’est la gratitude. Je vous garantis qu’une poignée de main, un regard, un petit coup de fil, un encouragement vaut plus qu’une prime mal expliquée et balancée sur un bulletin de salaire. Personne ne compte vraiment ses heures et il ne faut pas rapporter la valeur du travail uniquement au salaire. Certaines semaines, il nous arrive à tous de faire de la merde, de manquer de productivité. Faudrait-il alors qu’on soit payé deux fois moins ? Et la semaine d’après, si l’on a bossé plus parce qu’on était sur un projet passionnant, faudrait-il dire à son patron « balance la prime » ?
Le CDI a deux grands défauts : il crée une caste, avec des privilèges inégaux par rapport aux autres, comme la difficulté d’emprunter hors CDI ou de louer un appartement. Ensuite, quand on a déjà franchi les étapes du stage, de l’alternance, de l’intérim, du CDD et qu’on atteint enfin le CDI, on ne bouge plus parce qu’on pourra enfin acheter la fameuse maison. Voilà comment devenir esclave de son boulot. Une sorte de prison dorée. Il faut donner la capacité aux jeunes d’en sortir. A 30 ans, ils doivent encore demander la caution de leurs parents ! Car on ne prête qu’aux riches, qu’aux CDI. Il faut supprimer ce contrat et créer un contrat unique, pour tous, qui serait plus égalitaire. Salariés comme entreprises pourront aussi plus facilement se séparer.
Je pense fondamentalement qu’être au chômage aujourd’hui, c’est être montré du doigt, ostracisé. Être perçu comme un loser. C’est une énorme erreur, je pense que les chômeurs ont l’immense chance de faire un break dans leur vie. J’ai moi-même été au chômage et durant cette période, j’ai construit ma maison. J’avais besoin de faire le vide. Il est normal pour tout individu d’avoir besoin de faire une pause après plusieurs années dans une boîte pour se former, déménager, etc.
Pour Gojob, tous les moyens sont bons pour "hacker le chômage"
Au lieu de compter nos chômeurs en pleurant, nous devrions voir le chômage comme une opportunité, notamment pour se reconvertir. Pôle emploi doit arrêter de fliquer les chômeurs et de proposer des formations à des années-lumière de ce qu’ils veulent faire. Laissons les gens tranquilles, ils ont cotisé, ce sont des adultes, ils se débrouillent. A partir du moment où l’on change cette image du chômeur, je pense que les gens auront moins peur d’être au chômage. On pourra alors supprimer le CDI et créer, dans un second temps, le contrat unique.
La réforme va dans le bon sens, mais elle ne va pas assez loin car elle est encore trop infantilisante. L’assurance chômage devrait être considérée comme une assurance automobile avec un droit d’entrée et une capacité à moduler la façon dont on veut s’assurer, tout en obligeant une cotisation minimale pour tout le monde. Je pense que le chômage devrait être plus flexible, en fonction des désirs de chacun. Le tout avec un système de bonus-malus et en contrepartie, lâcher la grappe aux chômeurs.
Sur le papier, le régime micro-entrepreneur est une excellente mesure. Malheureusement, ce régime avait une faille qu’on n’avait pas vue : il permet d’aller chercher et d’utiliser cette force de travail, pour faire des tâches répétitives. Et les plateformes de type Uber ou Deliveroo en abusent. L’arnaque, c’est d’utiliser un pseudo-statut d’indépendant pour faire un travail qui n’est pas indépendant. C’est du salariat pur et dur. Je pense qu’une requalification automatique doit s’enclencher dès que les revenus d’un indépendant dépendent à plus de 60-70 % d’une plateforme.
Le confinement m’a renforcé dans mes convictions sur le sens à donner au travail. On a tous pris le temps de réfléchir au « pourquoi ? » Ensuite, la période a accéléré les mutations : par exemple, dans l’intérim, certains clients étaient réfractaires au télétravail. En deux mois, ces certitudes ont été balayées. Moi aussi au début, je n’étais pas un grand fan du télétravail. J’ai orchestré un changement concret, et la moitié de mes équipes travaille encore à distance.
L'article a été rédigé par Camille Wong.