Il a fallu sept jours pour créer le monde. Pascal Lorne, fondateur de l’agence d’intérim digitale Gojob et serial entrepreneur devant l’Éternel, s’en accorde trois de plus pour "redessiner les contours d’une nouvelle société du travail"…
Dans son essai 10 Jours pour hacker le travail paru aux éditions Débats publics, celui qui est aussi président de la French Tech Aix-Marseille Région Sud s’appuie sur dix propositions concrètes pour faire du travail "un vecteur indispensable pour construire un futur plus juste et plus démocratique en France et en Europe".
Alors que de nombreux Français s’apprêtent à prendre quelques jours de congés, Pascal Lorne s’empare de sujets épineux, voire tabous. Il veut, pêle-mêle, réinventer l’apprentissage, abolir le CDI, réhabiliter le chômage, arrêter l’arnaque du micro-entrepreneuriat et des Gafam. Il prêche pour l’utilisation de l’intelligence artificielle et une Union européenne du travail. Dix jours suffiront-ils pour mener à bien toutes ces réformes?
Lorsque je suis rentré des États-Unis il y a cinq ans, j’ai retrouvé une France meurtrie qui avait mal à son travail. Alors qu’outre-Atlantique, on fait fi des diplômes, des races et des origines, la France, elle, ne sait pas valoriser de nombreux profils. Depuis que j’ai lancé Gojob, j’ai rencontré pas loin de 10.000 intérimaires et ai eu des entretiens avec des centaines de patrons.
Je me suis aperçu que les acteurs publics comme Pôle Emploi sont souvent décriés mais veulent vraiment aider les chômeurs qui, dans leur grande majorité, ont envie de travailler… De plus, ces derniers mois ont confirmé le rôle pilier du travail dans notre société. Cet essai, écrit durant le confinement, est un cri du cœur pour interpeller les chefs d’entreprise et les politiques car il y a, selon moi, de nombreuses solutions simples et pragmatiques à mettre en place plutôt que de sortir des énièmes plans à coups de milliards.
Nombreux sont nos dirigeants qui ne connaissent pas le monde de l’entreprise, qui n’ont jamais embauché ou licencié. Le bon sens de l’humain ne s’apprend pas sur les bancs des facs ou de l’ENA. Sur les dix propositions que je fais, certaines peuvent être mises en œuvre immédiatement. D’autres, il est vrai, prennent plus de temps. Mais je me suis efforcé de faire simple et de décrire avec une méthode qui fonctionne car expérimentée sur Gojob des petits changements qui peuvent être réalisés simplement et rapidement.
Oui, c’est d’ailleurs ainsi que débute le livre: c’est ce que j’ai appelé "Luttons contre les prophètes de malheur". On présente le travail comme un mal. Alors que c’est le catalyseur de la dignité humaine et il n’est pas valorisé à sa juste valeur. Il faut hacker le travail, c’est-à-dire trouver les portes d’entrée qui nous permettent de le remodeler. Quand à longueur de journée, on entend dire que le travail est une peine, ça finit par entrer dans l’inconscient collectif. Ça peut paraître perché comme discours mais les mots ont leur importance. Par exemple, il faut renommer les RTT qui laissent entendre que l’on récupère du temps perdu à travailler. Et ça, ça ne prend que cinq minutes.
C’est idem avec la sémantique autour du chômage qui est décrit comme négatif.Il faut le réhabiliter, faire comprendre aux Français qu’être chômeur n’est pas une fatalité dramatique mais que cela permet de réfléchir à ce que l’on veut faire, de se reconvertir et de se former.
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Il faut restaurer le lien entre l’école et le travail. Et offrir à tous, enfants, jeunes adultes et adultes en reconversion les moyens de découvrir leur métier en passant quelques jours dans la fonction publique, une entreprise, un laboratoire de recherche…
Ce qui permettrait à ces futurs femmes et hommes la possibilité de se frotter à la vraie vie, d’acquérir des réflexes comportementaux, de mieux s’orienter. Prendre des apprentis est trop compliqué actuellement : il faut simplifier la démarche en supprimant notamment les conventions de stage. C’est une réforme qui pourrait être faite très facilement.
Les pères fondateurs de l’Europe ont créé un espace de liberté de circulation des hommes, capitaux, biens et services mais ils se sont arrêtés en chemin et n’ont pas harmonisé les charges sociales. Le coût du travail comme les systèmes de protection sociale sont trop divers. Il faut aller jusqu’au bout de l’exercice et uniformiser les prestations sociales dans l’ensemble de l’Union.
L’IA est une formidable techno pour automatiser des tâches de basse besogne. Elle est un souffle d’espoir pour magnifier nos emplois et il ne faut pas en avoir peur. Ce ne sont que des robots entraînés par des femmes et hommes qui leur donnent de bons réflexes et instructions et qui ne détruisent pas les emplois.
Pour Gojob, j’avais imaginé un algorithme qui ferait un matching automatique entre les demandes d’emploi et les employeurs. Mais je me suis rendu compte très vite que pour fonctionner, il lui fallait des humains qui connaissent le métier.
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Oui, l’entreprise a été réduite à sa portion congrue d’objet économique créateur de richesses et a perdu sa raison d’être. Chaque dirigeant devrait remettre la mission de son entreprise au cœur de son projet et redonner du sens à celle des employés.
C’est à la fois très simple et très compliqué. 10 Jours pour hacker le travail est un appel à prendre du recul pour que chacun, après cette crise sanitaire, réfléchisse à son projet de vie ou à celui de son entreprise.
L’autoentrepreneuriat a été créé pour émanciper les travailleurs des lourdeurs administratives et juridiques du droit des entreprises. Ça a plutôt bien marché puisqu’on compte un million de microentreprises en France.
Pourtant, ce statut est progressivement devenu une prison pour de nombreux autoentrepreneurs qui vivent un salariat déguisé sans pour autant bénéficier des droits inhérents. Des multinationales, essentiellement américaines et dans le digital, dévoient ce système pour ne pas payer de charges sociales et faire plus de bénéfices
Les chauffeurs Uber, bicyclettistes Deliveroo et consorts… ont un lien de subordination très clair avec ces firmes. Au lieu de libérer les gens en leur permettant de monter leur propre activité, on a créé des tâcherons, des esclaves du XXIe siècle.
C’est gravissime: c’est aussi pour cela que je dis que les Gafam ont fait le casse du siècle, qu’il faut défendre notre souveraineté nationale et européenne et par là-même, la valeur du travail.
Parce qu’il est l’une des causes de la crise de la société du travail. Le CDI est un contrat biaisé qui enferme les salariés et qui, d’entrée de jeu, écrit une séparation douloureuse. Dans une entreprise, ce sont 100% des gens qui divorcent. Durant ses trois mois de préavis, le salarié est obligé de rester alors qu’il n’a qu’une envie: partir. Autre effet pernicieux: avec de moins en moins d’entreprises proposant un CDI, il crée une caste; celle à laquelle tout le monde aspire et qui permet notamment d’obtenir un crédit. Les salariés qui sont dans cette caste ont peur d’être au chômage, de se former et de se réinventer. On est en train de forcer des gens à se faner et à s’ennuyer.
Si nous arrivons à redonner la visibilité au chômage, à aider les gens à se former via l’apprentissage et avoir une sémantique plus heureuse autour du travail, on peut alors abolir le CDI. Mais il faut prendre les choses dans l’ordre.
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